Geisha

Je suis là, allongée sur le lit, et pourtant rien n’est moins sûr.
Je sens mon corps encore brûlant, mon coeur qui heurte violemment ma poitrine.
Ma peau est luisante sous la lueur rougie et vacillante des lampions. Elle se hérisse en se refroidissant, des gouttes de sueur coulent encore le long de mes cuisses et mon sexe fatigué est douloureux.
Mon souffle s’est calmé mais l’air chargé d’humidité rend ma respiration difficile. J’étouffe sans raison, uniquement omnubilée par le corps désormais loin, mais que je sens encore collé au mien.
Je le vois à quelques mètres de moi, qui se débat avec sa propre maladresse, ses membres empêtrés dans l’air. Avec gaucherie, il s’enfourne dans un vêtement ample. Il est gêné par ma présence silencieuse.
Il ne sait pas. Il n’a pas remarqué, que je n’étais pas vraiment là.
Au-delà de la fenêtre, la neige tombe sans cesse. J’ai l’impression qu’elle ne s’arrêtera que lorsque le monde impudique et indigne d’être vu aura disparu sous son voile de pureté. Rien n’est plus beau que la neige qui danse. C’est sur moi qu’elle glisse, s’accroche et, plus encore que le monde, c’est moi qui suis purifiée.
Mon corps, tantôt si agité, a chassé toute trace d’activité. Désormais à peine consciente de mes membres, je me redresse en un seul geste souple. Je n’ai plus de poids, plus de consistance. Ce qui a pu m’habiter cette nuit n’est plus.
Je suis redevenue une abstraction hantant les murs peints.
Il me jette un regard en biais. Un regard honteux et anxieux.
Je comprends qu’il ait peur de moi. Il croyait maîtriser la situation, il croyait posséder quelque chose.
Mais je ne suis rien d’autre qu’un courant d’air, une illusion sur son sillage. Maintenant que le soleil rougeoie à l’horizon, je suis lasse de maintenir le rêve.
J’attrape un kimono en soie pâle et usée que je glisse sur mes épaules.
Et je sors. Sans un mot.
Je laisse mon client seul et plus perdu que la veille, dans la pièce rouge.
Je traverse le couloir. Le parquet ne craque pas sur mon passage.
Je retrouve ma chambre et je me glisse dans le bain que m’a préparée une employée de la maison.
Les vapeurs sont si fortes qu’elles nettoient jusqu’à mon esprit qui reprend pleine possession de mon corps.
Alors, la carpe qui danse sur mes côtes s’anime. Elle glisse sur l’eau, ondule le long de mon corps, douce et agile, belle et évanescente. Elle réveille mes cellules qui se dilatent puis se rétractent à son contact.
Elle est moi et ailleurs.
Elle est absente mais sa présence m’enivre.
Elle est mon bouclier et mon réconfort, une seconde nature plus protectrice que la première.
Et tandis qu’elle ondule dans l’eau, je la sens, écaille par écaille, qui efface la nuit et laisse place à l’aube.